C’est un grand plaisir pour moi de voir ici, dans la belle ville de Saint-Ursanne, où mon père a créé certaines de ses œuvres, celles-ci et bien d’autres encore. Je tiens ici à remercier le conservateur Dom Lallemand, qui s’est engagé à mes côtés dans un processus qui n’a pas toujours été facile.

Vous ne voyez ici que des tableaux «harmonieuses» et vous vous demandez ce qui a fait qu’un artiste du XXe siècle peignait comme d’autres le faisaient il y a 70 ou 100 ans. Tout à fait à l’opposé du courant dominant de l’époque. Pourquoi? Cela est peut-être dû à sa biographie extraordinaire. Je voudrais y revenir ici en quelques mots clés, vous en saurez plus grâce au tableau de l’exposition.

Polonais de 17 ans, il se trouvait quelque part entre le IIIe Reich et l’Union soviétique en 1939. Sa Pologne natale n’existait plus. Finalement, il fut déporté dans les profondeurs de l’Union Soviétique dans un camp de travail, un goulag. Quand Hitler a envahi le Reich de Staline en 1941, il a été libéré avec plus de cent mille Polonais pour combattre contre Hitler. Il est donc venu au Moyen-Orient, où il a été formé comme artilleur, puis en Italie sur le front. Là, ils se sont battus – perdants et victorieux. Mais leur patrie, pour laquelle ils se sont battus, était loin. Parce que les Soviétiques, qui venaient d’être leurs bourreaux, les les «libèrent». A quoi servent tout ce labeur, la douleur et la mort ?

Mais mon père n’était pas qu’un soldat. Dans son autre main, il tenait un pinceau. Il n’a peint aucune scène de guerre, aucune atrocité, aucun canon ni fusil. Non, il a peint ses camarades, des paysages intacts et des maisons. Cherchant le «beau» était son traitement de l’horreur. Et c’est resté toute sa vie artistique. Également après la formation académique à Rome et Madrid.

Comme la plupart de ses compagnons d’armes, il n’est pas retourné dans son pays natal. Il a trouvé cela en Espagne pendant 10 ans. Il a épousé une Suissesse d’origine polonaise. Cependant, il a encore tenté sa chance en Espagne. Très peu peuvent vivre de leur art. C’est ainsi que la jeune famille a cherché son bonheur en Suisse.
Mais ici aussi, les premières années ont été caractérisées par la pauvreté et l’austérité. Ça montait doucement.

Mon père a traduit son désir de paix, de liberté, d’harmonie, de chaleur et enfin et surtout de chez-soi dans ses oevres. Tout à fait contraire à l’esprit de l’époque où l’extraordinaire, l’imposant, l'»innovant» étaient à la mode. Chaque artiste voulait être unique. C’était le seul moyen pour qu’il réussisse. Mon père a vécu douloureusement ce rejet, mais est resté fidèle à lui-même. Ses oevres étaient très rarement créées dans l’atelier. Le lieu de ses objets à peindre était son atelier. Il a peint vite, car c’est le seul moyen d’insuffler une âme à un tableau. C’était le secret des impressionnistes.

Plongez dans ce mystère. Choisissez une image et ouvrez-vous à celle-ci. Personnellement, je le fais mieux avec des oevres de paysage. Oubliez la terrible jeunesse de l’artiste. Car pendant qu’il peignait, il essayait de les oublier lui-même. Laissez-vous porter par ces forces. Et si vous réussissez, vous éprouvez un sentiment de bonheur. C’est exactement le secret de l’art de mon père. Je vous souhaite plein de succès.

Discours de Tadeusz Wojnarski (fils de l’artiste) au vernissage de Saint-Ursanne